Rabih Kayrouz sur sa méthode de vente à taille humaine.

15 Février 2024 1986
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Pour fêter ses vingt-cinq ans d'activité, Rabih Kayrouz ouvre une boutique éphémère à Paris du 4 mars au 30 mai, au 16, rue Saint-Roch, dans le 1er arrondissement. FashionNetwork.com revient sur sa carrière et sa marque. Le couturier libanais, qui détient toujours une participation majoritaire dans sa société, a ouvert son capital en 2016 au fonds d'investissement Azur Fund, rejoint en 2017 par le financier libanais Fawzi Kyriakos-Saad. Il raconte à FashionNetwork.com comment il a renforcé sa stratégie « à taille humaine » en se concentrant davantage sur la vente directe. À contre-courant plus que jamais des grands noms du luxe, en misant sur des vêtements de très haute qualité, il prône avant tout « le respect de ce qui nous entoure ».

FashionNetwork : Où en est la Maison Rabih Kayrouz aujourd’hui ?

Rabih Kayrouz : Après avoir beaucoup souffert en 2020, l’entreprise est désormais de nouveau en bonne santé. Nous ne divulguons pas nos chiffres de ventes. Mais la boutique londonienne que nous avons ouverte début 2020 a vu ses ventes augmenter de 30 % l’an dernier. Nous avons mis en place une nouvelle stratégie pour nous rapprocher des clients, comme je l'ai fait lorsque j'ai débuté il y a vingt-cinq ans à Beyrouth, puis en lançant le prêt-à-porter il y a quinze ans à Paris.

FNW : Qu’avez-vous changé dans votre approche ?

RK : Depuis quelques années, je m'interroge sur le modèle traditionnel basé sur le réseau de distribution multimarque. Je n'y crois plus. Puis, en 2020, il y a eu le Covid et l’explosion de Beyrouth, où j’ai failli mourir. Cela m'a fait repenser mon entreprise. J'avais envie de changer et de me concentrer davantage sur la vente directe. Avant Covid, nous avions 55 détaillants multimarques, principalement en Europe, aux États-Unis, au Moyen-Orient et quelques-uns en Asie, entre le Japon et Hong Kong. Depuis, nous avons décidé d’en réduire drastiquement le nombre.

FNW : Comment se porte votre réseau multimarque aujourd’hui ?

RK : Nous n'avons maintenu qu'une quinzaine de concessionnaires, conservant les partenaires les plus importants. Ceux avec qui nous avons noué des relations étroites et que je considère en fait comme des extensions de mes propres boutiques. À Londres, il y a le Dover Street Market. Ensuite, nous avons de très belles boutiques aux Etats-Unis, comme Ikram à Chicago, Forty Five Ten à Dallas, Boyds à Philadelphie, etc., ainsi qu'en France avec, entre autres, Pearl à Marseille, Le Shop 17 à Cannes. et la Maison Orso à Rennes.

FNW : Vous misez donc sur une stratégie retail ?

RK : Nous restons à une échelle très humaine. Nous voulons mettre davantage l'accent sur le commerce de détail. Dans nos boutiques, nous pouvons mieux exprimer l'univers de la marque. Nous pouvons compter sur nos trois boutiques à Londres, Beyrouth et Paris, où nous ouvrirons début mars notre premier pop-up shop, rue Saint-Roch. Nous aimerions transformer ce pop-up en boutique permanente dans cette rue, ou ailleurs.

FNW : Quels sont vos principaux marchés ?

RK : Les États-Unis et la France. Londres est également un marché important, tout comme Beyrouth. Nous y avons tout perdu en 2020, mais pas l'équipe, ce qui est fantastique. Ce sont eux qui ont maintenu l'entreprise en place, où nous avons rouvert un espace dans une ancienne maison libanaise avec l'atelier et le studio au rez-de-chaussée et la boutique et la cabine d'essayage au premier étage.

FNW : Comment est structurée votre offre ?

RK : Nous nous concentrons sur l'habillement avec une ligne de prêt-à-porter, une ligne mariée, des commandes couture avec des robes et un savoir-faire d'exception et des commandes spéciales. Dans certains modèles de prêt-à-porter, que l'on appelle les incontournables ou les iconiques car ils existent tout le temps, la cliente peut choisir ses matières et ses couleurs. Et puis, de temps en temps, nous proposons également une gamme de bijoux-sculptures réalisés en interne.

Quand un vêtement dure, il n'a pas de prix.

FNW : Qui ciblez-vous ?

RK : Une femme plutôt libérée, qu'elle ait 16 ou 60 ans.

FNW : Comment s’organise la production ?

RK : La collection est développée à Paris, 80 % du prêt-à-porter est fabriqué en France dans des ateliers en banlieue parisienne et en province, et 20 % en Europe, en Italie, Bulgarie, Espagne et Portugal. Les tissus sont européens, italiens et anglais, et pour les tissus techniques je me tourne vers un grand spécialiste au Japon. A Beyrouth, l'activité se concentre sur la clientèle locale.

FNW : Comment voyez-vous la mode aujourd’hui ?

RK : J'aime de moins en moins la mode. Ce que j'aime, ce sont les vêtements. Il faut s'en tenir à ce qu'on aime, à ce qu'on sait faire, et le faire parfaitement bien, en gardant la qualité du tissu et de la finition, qui ont tendance à se perdre. Quand un vêtement dure, il n'a pas de prix. En ce sens, la qualité est bon marché. Lorsque nous travaillons de manière décente et respectueuse, à tous les niveaux – social, politique, environnemental et planétaire – respecter ce qui nous entoure, c’est être moderne !

FNW : Voyez-vous les consommateurs évoluer dans ce sens ?

RK : Au lieu d’acheter beaucoup et d’acheter mal, les gens préfèrent acheter peu et bien acheter. De plus en plus de jeunes pensent dans ce sens. Ils ont déjà porté moins de qualité et ils peuvent voir la différence. Ils préfèrent de plus en plus le luxe. Les prix ne sont pas exorbitants, avec des robes de jour à 1 000 €, des manteaux et vestes autour de 2 000 € et des robes de soirée à partir de 3 500 €.

FNW : Pourquoi n'exposez-vous plus à la Semaine de la Couture ?

RK : Ma marque est de plus en plus implantée et je préfère communiquer autrement. Ne pas participer est aussi une réaction à ce qui se passe dans le monde. Et les défilés de mode sont devenus des spectacles, ce qui ne correspond pas à ma démarche.


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